2022-11-02

 POUCHKINE, MESSIE RUSSE


     OU LE CHARISME DE LA PAROLE


 


                               


 


                                 Par ANTONIO PARRA


 


 



Il est clair que l'histoire de notre évolution spirituelle appartient aux pages des livres que nous avons lus ou acquis, le guide de notre héritage mental, le cercle magique dans lequel nous résolvons ou tournons, et, peut-être, la ligne que nous ne pourrons jamais pouvoir traverser sans inconvénient, ou sans trahir notre esprit. J'ai puisé dans les fonds de ma bibliothèque bien fournie et anarchique, où les classiques russes occupent une place prioritaire. Il y avait un dos, déjà mou et jaunâtre, avec des bosses et des éclats sur la couverture, qui rappelaient immédiatement des images de fond rétrospectives et sans calculs. Empressement dense et ratatiné de la jeunesse ! Soudain, j'ai eu un coup de fouet et la question rétrospective d'Horacio : ubi sunt ? Qu'est devenu tout cela ? Où est ce qu'on aimait alors ? Cette inquiétante question horatienne est déjà, en elle-même, une source de force littéraire, une source d'inspiration tout au long de l'histoire de la littérature mondiale. Peut-être est-il écrit pour évoquer cette énigme de l'existence humaine, vouée à une fin inexorable, celle de la mort.


 En voyant ses yeux, mon âme a sombré dans un abîme de nostalgie. Il y a des livres, à cause de ce que Saint Jean a dit de « en principe erat verbum », qui posent le jalon du départ vital, ou du commencement de nous-mêmes. Un titre : La dame aux trois cartes et autres histoires, d'Alejandro Pouchkine, en traduction de Félix Díez Mateo, Buenos Aires, 1952. Et une date écrite à l'encre bleue, déjà très astucieuse, car l'encre est le sang de l'âme , qu'il a aussi vieilli, tout comme le propriétaire, accusant la dévastation du passage des années, mais qui rappelle des images floues et des visages à la mémoire. En dessous une date : 1er juin 1963. Il a sûrement été acheté sur l'un des stands du salon du livre de Madrid qui se tenait chaque printemps.


Des pages sans fond de ce petit roman, succinct, concis, plein d'une prose mystérieuse qui éclaire, très poussée et en relief, comme tout ce qui est de Pouchkine, mais le lecteur n'a jamais conscience de l'effort de l'auteur, comme cela arrive généralement quand on est dans le présence d'un génie, mon propre passé me faisait un clin d'œil. Il y a dans la littérature une visée angélique qui est secouée par l'aile mucilagineuse de l'oubli. Le rire du séraphin noir résonne dans le tombeau des rêves. Le niais finit par s'imposer au beau. La chose n'a aucun moyen de la contourner. Cette histoire, prise sur le vif, où Pouchkine, à la grande origine de l'écriture moderne, fait face, avec une plume vive et une impression très rapide de l'élan vital de tout ce qui l'entoure, reflète l'inanité de la vie d'un joueur. Mais derrière tout cela, se cache l'idée d'un destin inexorable et invincible (sudba), qui est ici une femme : la reine de pique. C'est l'histoire méphistophélienne, du pacte avec le diable, auquel succombe la vanité ou l'inexpérience de la nature humaine.


Le message clair, mais plein de miséricorde, que Pouchkine projette ici, pourrait être que tout est vanité, parodiant les mataoites mataiotes de Chrysostome : l'amour, la beauté, la santé physique, l'éclat et le décorum doivent être pris comme un mirage. On finit toujours par doubler la râpe. Le bien et le mal ont une fin.



Je n'avais pas encore dix-neuf ans. Sûrement, c'est une des premières acquisitions de ma bibliothèque, car le rêve de ma vie était configuré pour être écrivain. Je savais que mon projet existentiel était lié aux livres, source de bonheur, suprême et nœud coulant de mes châtiments, comme il l'a été. L'auteur russe agissait en maître de cérémonie, et dans ses pages, lues à la va-vite, en longues veillées autour d'un café et d'un tabac et de rêves d'une grandeur inéluctable ["un jour je pourrai écrire quelque chose comme ça, je serai publié et reconnu" ] m'a fait la queue Avec lui j'ai gardé mes premières armes. Je recevrais le graal de l'idéal chevaleresque littéraire, il m'ouvrait l'iconostase d'un concept esthétique dans lequel j'approfondissais au fil des années. Toute la littérature russe m'a fait vibrer. La reine de pique a été le premier clin d'œil séduisant à la femme fatale.


 Après Pouchkine, il y aurait Gorki, dont les histoires me faisaient pleurer, et que j'ai dévoré dans le métro. Ou Tchekhov, Dostoïevski. Andreev, Ivan Bounine. J'étais conscient que j'étais confronté à un défi difficile. À la bibliothèque publique de Cuatro Caminos, je me suis plongé dans la lecture de mes professeurs de russe bien-aimés. Là, j'ai pris contact avec la littérature au plus haut degré. Ce premier contact m'a rempli de préjugés envers d'autres auteurs ou envers le roman d'autres littératures, car je pense, et je pense encore, que seul le Russe a atteint le plafond du point de vue romanesque. Dostoïevski, le grand plongeur de l'âme humaine, qui entreprend ses entreprises imaginatives comme s'il s'agissait de promenades psychiques dans le labyrinthe du cœur humain, est l'ultime. De cette façon, je pensais avoir donné mon premier

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